
Distinguer savoir scientifique, opinion, témoignage ou croyance populaire est l’un des enjeux de l’éducation aux médias et à l’information. Pour leurs travaux scolaires ou leurs recherches personnelles, les élèves sont confrontés à des sources plus ou moins rigoureuses d’un point de vue scientifique qu’ils utilisent souvent indifféremment.
Comment les amener à questionner leurs préjugés et à s’interroger sur leurs sources d’information ? Quels méthodes et outils donner aux élèves pour évaluer la fiabilité et la rigueur des informations présentées comme scientifiques ?
Ces questions nous ont amenées à proposer à des classes de 1re générale une séquence dans le cadre des cours d’enseignement scientifique (SVT). La première séance a été l’occasion de tester le dispositif coopératif de la classe puzzle.
Sommaire
- Le cadre
- Le programme d’enseignement scientifique, un levier pour l’EMI.
- Le déroulement de la séquence
- Séance 1 – Coopérer pour comprendre et évaluer un document de vulgarisation scientifique
- Séance 2 – Connaissance scientifique, opinion ou croyance populaire, comment les discerner ?
- Séance 3 – Une vidéo de vulgarisation à l’épreuve de la science
- Un prolongement possible
- Bilan
- Ressources complémentaires
Le cadre
- E-mail : (documentation) ; (SVT)
- Nom de l’établissement : Lycée polyvalent Jacques Duhamel, Dole
- Niveau éducatif : Lycée, 1re générale
- Disciplines : Documentation, Enseignement scientifique (SVT), EMI
- Déroulé : 3 ou 4 heures
- Matériel : PC professeur, vidéoprojecteur et enceintes, smartphones des élèves
- Outils : Mur multimédia (Digipad), sondage en ligne (Wooclap)
- Mots-clés : éducation aux médias ; EMI ; information scientifique et technique ; évaluation des sources ; esprit critique ; coopération ; Classe puzzle
- CRCN : Mener une recherche ou une veille d’information
Objectifs pédagogiques :
- extraire des informations d’un document (lecture rapide puis approfondie) ;
- comprendre le processus d’élaboration d’un savoir scientifique ;
- distinguer information scientifique, opinion et croyance ordinaire ;
- identifier la nature d’un document. Distinguer étude scientifique, méta-analyse, article de vulgarisation ;
- découvrir et utiliser des outils pour évaluer la fiabilité une information dite scientifique ;
- enquêter sur un auteur, un média, une information ;
- identifier des sources de vulgarisation scientifique fiables ;
- coopérer.
Le programme d’enseignement scientifique, un levier pour l’EMI
Depuis 2019, l’enseignement scientifique fait partie du tronc commun pour les classes de 1re et de terminale générales. Il réunit donc tous les élèves quelles que soient leurs spécialités, scientifiques ou non, pour une heure de SVT et une heure de Physique chimie par semaine.
Dès le préambule du programme d’Enseignement scientifique en classe de 1ère (1è Février 2023), trois objectifs intimement liés, sont fixés :
- “contribuer à faire de chaque élève une personne lucide, consciente de ce qu’elle est, de ce qu’est le monde et de ce qu’est sa relation au monde ;
- contribuer à faire des élèves des citoyens responsables, qui connaissent les conséquences de leurs actions sur le monde et disposent des outils nécessaires pour les analyser et les anticiper ;
- contribuer au développement en chaque élève d’un esprit rationnel, autonome et éclairé, capable d’exercer une analyse critique face aux fausses informations et aux rumeurs.”
Le programme de première fixe comme l’un des trois axes généraux de formation “Comprendre la nature du savoir scientifique et ses méthodes d’élaboration” .
Le savoir scientifique résulte d’une construction rationnelle. Il se distingue d’une croyance ou d’une opinion. Il s’appuie sur la description et l’analyse de faits extraits de la réalité complexe ou produits au cours d’expériences. Il cherche à comprendre et à expliquer la réalité par des causes matérielles.
Le savoir scientifique résulte d’une longue construction collective jalonnée d’échanges d’arguments, de controverses parfois vives. Une certitude raisonnable s’installe et se précise progressivement, au gré de la prise en compte de faits nouveaux, souvent en lien avec les progrès techniques. Ce long travail intellectuel met en jeu l’énoncé d’hypothèses dont on tire des conséquences selon un processus logique. Ces modalités sont d’ailleurs en partie variables selon les disciplines concernées.”
Notre séquence s’inscrit dans le Thème 3 du programme de 1re “La Terre, un astre singulier”, partie 3.3 “La Terre dans l’univers”. Le programme propose, comme piste de travail “la distinction entre arguments scientifiques et croyances sur l’influence de la Lune.”
Le déroulement de la séquence
La séquence présentée se découpe en trois temps, sur 3 heures. Elle se déroule en classe entière (32 élèves) en co-intervention professeur de SVT / professeur documentaliste, au CDI.
Cet article s’intéresse plus particulièrement à la première séance et au dispositif de classe puzzle.
Un mur collaboratif est utilisé comme support de présentation. Il rassemble les ressources présentées tout au long de la séquence.
Séance 1 – Coopérer pour comprendre et évaluer un document de vulgarisation scientifique
(heure 1 + début heure 2)
Selon vous, la Lune a-t-elle une influence sur notre sommeil ?
Nous avons choisi de commencer notre séquence en posant cette question aux élèves grâce à un sondage en ligne anonyme.
Dans les deux classes, plus des ¾ des élèves répondent par l’affirmative.
L’objectif de cette première séance sera de questionner cette croyance pour tenter de l’infirmer ou la confirmer grâce à la lecture de différents articles de vulgarisation scientifique. Les élèves seront amenés pour cela à évaluer les différentes sources utilisées et à se forger, en groupe, leur propre opinion.
Nous avons choisi d’utiliser un dispositif coopératif, la Classe Puzzle.
Pour chaque classe (32 élèves), l’effectif est réparti en 2 x 4 groupes de 4 élèves.
Chaque élève se voit attribuer un des quatre documents sélectionnés par les professeures. Tous traitent de l’influence de la Lune sur le sommeil mais tirent des conclusions qui peuvent paraître contradictoires.
Le dispositif de Classe Puzzle se déroule ensuite en 4 temps.
1- Travail individuel sur un document – 10 min
Chaque élève réalise une lecture rapide du document imprimé qui lui est confié (dont les références sont données sur le verso de sa fiche de travail). Il complète le recto de cette fiche en relevant dans le texte les arguments en faveur de l’influence de la pleine lune sur le sommeil et les arguments inverses, ainsi que les preuves avancées (études) par l’auteur. L’objectif n’est pas d’être exhaustif.

2- Groupes experts – 15 min
Le travail se poursuit en 8 groupes experts qui réunissent des élèves ayant travaillé sur le même document (2 groupes par document A, B, C, ou D). Au cours de ce deuxième temps, les élèves échangent et chacun complète la première page de sa fiche de travail en l’enrichissant du travail des autres (arguments et preuves trouvés).
L’objectif est de coopérer pour relever toutes les informations utiles et les comprendre puis d’échanger pour rédiger une conclusion commune :
- d’après ce document, la pleine lune influence-t-elle le sommeil ?
- puis-je faire confiance à ce document ? Est-il “scientifique” ?
Les élèves peuvent consulter le document en ligne (Qr-code) pour se faire une idée sur la fiabilité du site.
Chaque élève est l’ambassadeur de son groupe expert dans la phase de travail suivante. Cela motive l’élève à être acteur dans cette première étape : chacun doit avoir noté et compris les arguments et preuves relevés par le groupe et avoir un avis sur le document donné.
3- Groupes de synthèse (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 ) – 15 min
8 nouvelles équipes (2 x 4 élèves) sont constituées : dans chacune, 4 élèves issus de 4 groupes experts différents, ayant donc travaillé sur 4 documents différents. Nous les nommerons groupes de synthèse plutôt que groupes d’apprentissage : l’objectif de cette phase est dans notre cas la synthèse des informations trouvées et la construction d’une conclusion commune plutôt que la compréhension d’une notion.
Chaque élève présente le document étudié, les arguments et preuves relevés et les conclusions de son groupe expert.
Après discussion, chaque groupe de synthèse doit alors rédiger une conclusion commune (page 2 du document de travail)
- en choisissant les éléments de réponse les plus pertinents ;
- en retenant ou écartant les différents documents ;
- en justifiant son choix.

4- Mise en commun – 20 min
Cette étape est primordiale. Elle permet de comparer les résultats des groupes de synthèse (conclusions et arguments). C’est également un temps réflexif sur le travail qui vient d’être mené et une introduction pour les séances suivantes.
Elle permet d’arriver à une conclusion commune :
- certaines études tendent à montrer une influence de la pleine lune sur le sommeil mais la méthodologie de ces études est controversée. D’autres études, elles, infirment cette hypothèse. Cette influence, en dehors de celle liée à la luminosité, n’est donc pas prouvée scientifiquement à ce jour ;
- les documents ne disent pas tous la même chose car ils n’interprètent pas tous de la même façon cette succession d’études ou ne se réfèrent pas tous aux mêmes études ;
- Les sources choisies sont plus ou moins fiables. La différence de fiabilité peut venir du niveau d’expertise et/ou des intentions (informer, vulgariser ou vendre) des auteurs.
Suit un temps métacognitif sur le travail mené.
- Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
- Qu’avez-vous pensé de ce dispositif coopératif : l’avez-vous trouvé plaisant ?
- Qu’avez-vous appris de nouveau ?
Ce moment permet d’identifier, nommer et fixer les compétences et notions acquises.
Deux questions découlent de cette première phase de travail :
- quels critères de fiabilité du document peut-on retenir ?
- comment déterminer si un savoir est scientifique ?
Elles sont abordées dans la suite de la séquence.
La classe puzzle : intérêts et limites
Pour mettre en place ce dispositif coopératif, nous nous sommes inspirées de différentes études (commentées par Sylvain Connac) et expériences (relatées notamment par Laurent Reynaud dans Faire collectif pour apprendre : des clés pour mettre la coopération au service des apprentissages).
Intérêts
Limites
- motivation intériorisée liée à l’interdépendance entre élèves
- des temps formalisés d’expression orale au sein d’un petit groupe
- qualité de l’appropriation des contenus en phase 2 (groupes experts).
- qualité de l’appropriation des contenus moindre lors de la phase 3 (groupes de synthèse / d’apprentissage) ;
- objectif du dispositif : apprendre à coopérer plutôt que coopérer pour apprendre ?
Points de vigilance
- bien présenter le dispositif en amont ;
- prévoir un enjeu individuel à la phase du groupe de synthèse / apprentissage pour l’efficacité de cette phase en terme d’acquis : temps individuel de validation des acquis ?
- ne pas évaluer la production commune de manière sommative ;
- utilité d’un temps de métacognition à l’issue de ce dispositif pour s’approprier des compétences coopératives.
Séance 2 – Connaissance scientifique, opinion ou croyance populaire, comment les discerner ?
L’objectif de ce 2e temps est d’amener les élèves à réfléchir sur leurs pratiques et de leur donner différentes ressources et méthodes :
- pour comprendre comment se construit la connaissance scientifique ;
- pour distinguer fait scientifique, opinion, croyance infondée ;
- pour évaluer le caractère scientifique d’un document.
La séance commence avec le visionnage d’une présentation de la Connaissance scientifique par Guillaume Lecointre, Professeur au Muséum national d’histoire naturelle.
Elle permet de définir ensuite ensemble les critères de validation d’une connaissance scientifique, en oppostion aux pseudo-sciences, croyances infondées, opinions ou expériences personnelles.
Différentes ressources sont distribuées et projetées (mur collaboratif), présentées, commentées, discutées avec la classe.
Elles permettent de clarifier les notions en jeu (fait, croyance, opinion, pseudo-science, méthode scientifique…) et de proposer différentes méthodes et outils pour les distinguer et pour valider une information. Un jeu sur les niveaux de preuve en lien avec la thématique de l’influence de la Lune (jeu sur Learning apps, inspiré du travail de P. Boucher) est également proposé.
Ces ressources sont des sources d’inspiration ; elles ne sont pas parfaites, sont parfois schématiques ou un peu complexes pour nos élèves. Leur intérêt est de donner des axes de questionnement et différents critères pour évaluer la scientificité d’une information.
La séance suivante permet aux élèves de mener une réflexion et une enquête personnelles sur une information scientifique.
Séance 3 – Une vidéo de vulgarisation à l’épreuve de la science
L’objectif de cette séance est de réinvestir les apports des deux temps précédents en se plaçant dans une situation réaliste comme la préparation d’un exposé. Les élèves seront ainsi amenés à :
- évaluer une source en enquêtant sur ses auteurs et ses conditions de création ;
- extraire les infos essentielles d’un document ;
- enquêter sur les auteurs et les éditeurs d’un document.
Nous avons choisi une vidéo de vulgarisation scientifique de la chaîne Data Science / Fake (Arte) qui aborde une idée largement répandue : l’influence de la pleine lune sur les naissances. Elle est projetée à la classe entière puis est accessible à chaque élève grâce à un QR-code.
A la suite d’un examen du document et une enquête sur ses auteurs et éditeurs, l’élève apporte des arguments pour répondre à ces deux questions :
- Est-ce que je garderais ce document pour une préparation d’exposé ?
- Est-ce que je le citerais comme source lors d’une présentation ?
Ce travail peut être effectué individuellement ou en binôme. Les élèves doivent compléter un document en répondant à un certain nombre de questions sur la vidéo. Ils peuvent utiliser les outils d’évaluation présentés lors de l’heure précédente (Foutaisomètre, astuce Wikipédia, etc.). Les deux professeures guident les élèves tout au long de l’activité en orientant leurs recherches voire en leur apportant des informations si nécessaire : l’essentiel est d’amener l’élève à se poser des questions et de l’aider à trouver les réponses.
Cette activité permet l’évaluation des compétences développées au cours de la séquence.
Un prolongement possible
Pourquoi a-t-on envie de croire à certaines vérités ?
Selon le temps dont on dispose, il est possible de prolonger cette séquence avec une séance d’une heure pour une première approche des biais cognitifs.
- La séance commence avec le visionnage commenté d’une première vidéo sur le biais du survivant (Chaîne Youtube Chat sceptique)
La discussion est lancée en cours de visionnage (0:56) : « comment expliquez-vous ce chiffre ?« . Elle se prolonge en fin de vidéo pour comprendre ce biais de raisonnement puis définir les biais cognitifs et leurs différents types (biais de perception, de jugement, de raisonnement, etc.).
- Individuellement, chaque élève effectue une recherche sur un biais cognitif parmi les cinq propositions des professeures (voir Document élève Heure 4). Il peut utiliser la playlist La petite boutique des erreurs (chaîne Youtube La Tronche en biais) ou d’autres sites s’il le souhaite. Il doit ensuite être capable d’expliquer ce biais oralement aux camarades de son groupe et à l’écrit sur son document.
- En groupe (5 élèves ou plus ; un élève par biais), chaque élève présente le biais sur lequel il a travaillé, écoute les interventions des autres élèves, pose des questions, reformule et complète les 4 colonnes vides de son document.
Bilan
Sur deux années scolaires, nous avons testé cette séquence avec 5 groupes en différentes variantes (avec ou sans les parties 3 ou 4).
Sur la forme :
- Si les élèves étaient globalement motivés, nous avons observé des différences d’un groupe à l’autre en termes d’implication et de plaisir partagé.
- La difficulté des textes doit être adaptée au niveau des élèves. On peut déterminer la composition des groupes experts pour adapter le niveau de lecture des élèves à la difficulté du texte proposé.
- Le découpage décrit correspond aux conditions de cette année (3 séances d’une heure) mais la séquence fonctionne mieux avec deux séances de 2h.
- Selon le nombre d’élèves dans la classe, le nombre de documents, le nombre de groupes et le nombre d’élèves par groupe peuvent être adaptés. L’idéal est d’avoir 3 à 5 élèves par groupe expert. Il peuvent être un peu plus nombreux (jusqu’à 6 ou 7 ) en groupe de synthèse.
Sur le fond
- A l’issue du premier temps, les croyances individuelles sont pas enocre tenaces. Malgré les documents contradictoires, dans certains groupes, les documents éliminés n’étaient pas les plus fiables mais ceux qui ne correspondaient pas à l’idée préconçue des élèves. Les deux heures suivantes sont donc essentielles car elles donnent aux élèves des ressources pour mener leur propre réflexion sur les sources auxquelles ils peuvent être confrontés pour leur travail scolaire ou leur information personnelle.
- La séquence intéresse les élèves quels que soient leur profil et leurs spécialités, scientifiques ou non ; les méthodes et notions abordées étant transposables aux sciences humaines.
- La formation de l’esprit critique se fait sur le long terme. Cette séquence est intéressante en tout début d’année de première, comme une introduction à l’enseignement scientifique. Les différentes notions et compétences abordées peuvent ainsi être réactivées et approfondies ensuite en lien avec les différents chapitres de ce cours, en première et terminale.
Ressources complémentaires