L’objectif de cet article est de présenter les intentions pédagogiques et la démarche de création d’un escape game en documentation. Ce témoignage se veut un retour d’expérience, complété d’éléments visant à expliciter les ressorts de la mise en œuvre de cette modalité en contexte scolaire.

Pourquoi proposer un escape game ?

Lors d’une réunion de travail du groupe académique Prof & Doc en juin dernier, nous avions engagé la réflexion et la création d’un escape game transposable  dans le cadre de la liaison 3e/2nde. Notre objectif : faire découvrir le CDI aux nouveaux élèves de façon ludique à la rentrée scolaire 2018.

Cette première ébauche a germé progressivement… Nouvellement nommée en lycée à la rentrée, je souhaitais proposer une découverte des lieux de façon attrayante et motivante pour les nouveaux élèves, et éviter la « traditionnelle et répétitive visite du CDI ».

Mes intentions pédagogiques étaient claires : rendre les élèves acteurs de leurs apprentissages dans une dynamique de groupe, qu’ils fassent connaissance avec ce nouvel espace par le jeu, et favoriser les interactions sociales.

Les compétences info-documentaires exploitées durant le jeu sont pré-définies. Il s’agit de proposer un escape game de révision aux élèves de Troisième et Seconde, pour réinvestir les connaissances acquises aux cours des cycles 3 et 4, en plus de découvrir les nouveaux espaces composant le 3C. La définition même du concept serait dévoilée pendant l’escape game et explicitée davantage  lors du débriefing via une infographie.

Des contraintes d’effectif, d’espace et de temps

Connaître le nombre d’élèves concernés et le nombre de sessions possibles permet de déterminer l’effectif et la durée de chaque séance 1.

Une visite du 3C en demi-classe s’organise à chaque rentrée scolaire dans l’établissement ; séance impulsée par les professeurs-documentalistes et les professeurs principaux. Au lycée, le Centre de Connaissances et de Culture est spacieux. Un espace informatique connexe à l’espace principal permet d’accueillir un demi-groupe, sans pâtir sur l’accueil des autres élèves. Les conditions d’organisation sont somme toute réunies et permettent la mise en œuvre aisée de l’escape game.

Une équipe de dix à seize joueurs maximum se confrontera aux énigmes, et ce en un temps imparti – ici 45 minutes – pour laisser ensuite place au débriefing afin de fixer les apprentissages. L’escape game est proposé tant à des élèves de lycée professionnel que de lycée général, avec des effectifs variables. C’est l’une des contraintes principales dans la conception et l’organisation du jeu.

Le principe d’évasion caractéristique des escape games grand public est détourné et adapté au contexte scolaire. Il est en effet interdit d’enfermer des élèves dans une salle de classe. La délivrance peut se concrétiser à l’aide d’un coffre à ouvrir afin de libérer un objet  par exemple.

Trouver un scénario motivant et cohérent

  • La part narrative d’un escape game ne doit pas être négligée. L’introduction doit immerger rapidement les joueurs dans le jeu, qui doivent comprendre en quelques minutes la mission qui leur est allouée. Le format vidéo est donc privilégié, permettant de capter l’attention des participants. L’introduction doit être courte et explicite, sans oublier l’issue : le final du jeu. Les élèves vont accomplir une quête, un cheminement parmi un dédale d’énigmes. La fin du jeu doit être, elle aussi, marquée et remarquée.
  • Ici, le scénario s’est précisé tout au long de la phase de création. Des aller-retours et des réajustements ont été nécessaires, les énigmes venant aussi appuyer et compléter ledit scénario. L’ensemble doit être cohérent pour guider les joueurs dans leur quête et leur faire atteindre le ou les objectifs fixés en amont. D’autant qu’il n’est pas rare que les participants oublient la mission en cours de jeu, immersion et pression renforçant cette distraction. Un escape game se scénarise donc, avec un début et une fin.
  • Le script du scénario
  • L’introduction ne demande pas de compétences numériques spécifiques ou expertes. De nombreuses applications vous secondent dans cette tâche de réalisation. Pour ma part, j’ai opté pour le côté réaliste, l’escape game étant lui-même ancré dans le réel. Je me suis donc enregistrée à l’aide de mon smartphone dans le local des archives. Le noir & blanc permet d’accentuer le côté réalisme (sentiments d’enfermement, claustrophobie, peur). Une bande-son angoissante finalise la vidéo et ajoute une tension supplémentaire, en plus du chronomètre. La mission est annoncée aux joueurs via un texte défilant.

L’organigramme du jeu, support de la conception des énigmes

  • La principale difficulté dans la création d’un escape game est de concevoir un scénario de jeu logique, avec des étapes symbolisant une progression. L’ensemble se bâtit sur les énigmes et leur imbrication, favorisant ainsi l’intelligence collective des participants.
  • Pour ce faire, les énigmes doivent être de différentes natures (supports), variées dans leur principe de résolution, et en nombre suffisant par rapport à l’effectif de joueurs. Chacun doit pouvoir trouver sa place et mettre ses connaissances et compétences au service de l’équipe et du jeu. Le nombre d’énigmes est tributaire de l’effectif. Il faut donc trouver le bon dosage. En cela, un bêta-test permet d’avoir une idée de la durée du jeu, de réajuster le nombre d’énigmes, leur complexité et compréhension.
  • Le sentiment de réussite motive et stimule la progression des joueurs dans le jeu, matérialisée par des étapes. Dans le contexte local, il m’est impossible de proposer plusieurs salles à la manière des escape games grand public. Mon choix s’est orienté vers des mécanismes type cadenas (ingrédient essentiel d’un défi-évasion) dont l’ouverture permet d’accéder à l’étape supérieure 2 soit à un nouvel ensemble d’énigmes.
L’organigramme du jeu

Des énigmes intuitives sans consigne

  • Les énigmes doivent répondre aux objectifs pédagogiques fixés par l’enseignant, à savoir ici identifier des espaces et permettre de retrouver des documents dans le fonds documentaire.
  • Il peut s’avérer difficile pour l’enseignant-concepteur de créer des tâches complexes qui sortent du cadre de l’exercice ou d’une activité ludifiée. En effet, comment transcrire une consigne en énigme ? Comment détourner une activité de classe classique ? D’autant que le joueur doit comprendre ce que l’on attend de lui. Le principe de résolution doit transparaître et être discerné.
  • L’élève va mettre en place une stratégie pour résoudre l’énigme. Il élucide un problème posé au moyen d’indices. Le concepteur doit anticiper au maximum le cheminement du joueur.
  • Dans ce cas précis, l’énigme-devinette a été jugée complexe par les élèves.  Plus ou moins sibylline, elle a déconcerté certains, malgré un énoncé utilisant du vocabulaire connu de tous. Une formulation qui a généré un blocage. Des coups de pouce oraux ont permis d’accompagner les participants dans leur réflexion. Une devinette est un véritable jeu de l’esprit. Intuitive, elle met la sagacité des joueurs à rude épreuve mais ne doit pas les décourager.
  • Décrypter un message codé avec une roue de César s’avère obscur pour certains. Il s’agit de comprendre le principe de décodage exposé ici. Ces tâches sortent de l’ordinaire et relèvent du raisonnement. C’est une occasion de leur faire découvrir quelques principes de la cryptographie et son histoire. Les codes font partie de notre quotidien également.
  • Face à ces situations de blocage, la coopération prend alors tout son sens. A plusieurs, on parvient à résoudre une énigme, par essai-erreur, tâtonnement, déduction. Une énigme doit être réalisable et surtout ne pas susciter un sentiment d’échec. Des blocages sont possibles s’expliquant par un manque d’aptitude ou de réflexe à « sortir du cadre »3 , mais les coups de pouce sont là pour rectifier la donne. Les indices en lien avec l’énigme aideront grandement à sa résolution.
  • Les énigmes doivent être ni trop simples, ni trop complexes, l’escape game étant proposé à différents niveaux de classe. Une différenciation de certaines d’entre elles est anticipée. Les coups de pouce, prévus en nombre selon les niveaux, sont délivrés au moment de la fouille ou mis à disposition des joueurs par affichage. Ceux-ci sont identifiables par “un pouce levé ». Cette précision est apportée avant le lancement de la partie. Le kit comprend un nombre conséquent de documents ; les élèves doivent se repérer aisément et être autonomes durant le jeu.

Les énigmes se répartissent en sept environnements : fiction, documentaire, orientation, informatique, presse, modalités de travail au 3C et l’énigme finale permettant l’ouverture du cadenas à trois chiffres (à l’intérieur de la mallette se trouve la clé du local des archives pour libérer la doc). Variées, elles font appel à la déduction, au raisonnement, à la logique, la manipulation, l’observation.

 

  • Les élèves doivent ainsi décoder la cote d’un recueil de nouvelles à l’aide d’une roue de César et retrouver l’ouvrage dans l’espace fiction. Le livre dissimule une définition dont certains mots ont disparu. La lampe à UV révèle le mot “documentaire”. Un Qr-code à compléter grâce aux badges délivrés en début de partie, permet d’accéder à la classification Dewey en ligne. Les joueurs devront faire le lien avec le mail de Mme P. envoyé à sa collègue, lui demandant de réserver un ouvrage documentaire, dont seule les références bibliographiques sont données. Les  élèves n’ont plus qu’à récupérer l’ouvrage, leur offrant une clé.
  • L’une des deux boîtes libère un nuage de mots. Les plus observateurs relèveront trois termes correspondants aux modalités de travail relatives au 3C. D’autres énigmes complètent ce dédale. Une devinette et un texte brouillé réalisé avec l’outil Polychromacryptographe 4 leur dévoilent les mots “presse” et “informatique”.
  • Une fois reconstitué, un puzzle met les joueurs sur la voie d’une brochure ONISEP. La capture d’un échange de SMS leur précise de trouver l’ouvrage. Le document en main, celui-ci fournit la seconde clé. Les joueurs accèdent alors à un alphabet chiffré.  
  • A eux d’être attentif, une grille de mots croisés est à compléter au fur et à mesure du jeu. Six cases numérotées leur font découvrir six lettres à ordonner grâce à un document support. Par simplification, le terme 3C sera deviné soit “3 fois C”, à mettre en lien avec l’alphabet chiffré.

Le kit du jeu est partageable et facilement transposable en contexte scolaire. Deux énigmes nécessitent une application pour scanner un QR-code, ainsi que l’application Mirage Make pour flasher le marqueur mis à disposition.

Bilan et analyse

  • Si la conception de l’escape game a demandé quelques heures de travail, celles-ci ont été très vite rentabilisées. Plus d’une dizaine de sessions ont été organisées. Cette répétition peut sembler chronophage pour l’enseignant game master. Il est vrai que la remise à zéro du kit lors de deux séances consécutives est très sportive et demande une certaine organisation 5.
  • Néanmoins, chaque session de jeu est différente. Les stratégies mises en œuvre sont différentes, les méthodes de résolution également. Certaines équipes bloqueront sur une énigme en particulier, pendant que d’autres la résolveront aisément. Selon le niveau de classe, l’accompagnement par le maître du jeu est graduel.
  • Les élèves sont satisfaits de cette séance ludifiée et en ont témoigné durant la phase de débriefing6. Chacun a pu bénéficier d’une vue globale du jeu et d’un retour, énigme par énigme. Certains ont également mené le débrief en explicitant leur principe de résolution.
  • La modalité escape game se prête donc très bien à la visite du 3C. Libérez la doc ! constitue une amorce pour d’autres séances en Éducation aux Médias et à l’Information, à savoir former les élèves à la recherche informationnelle. Les contenus et compétences mises en œuvre durant le jeu ont été rappelées par les élèves lors des séances suivantes. L’escape game a permis un ancrage et une mémorisation des notions info-documentaires, servies par un  scénario immersif permettant une contextualisation. Ajouter un élément de fiction à une activité d’apprentissage participe grandement à la ludification. Le jeu stimule l’intérêt des élèves pour le sujet d’étude. Un tel contexte favorise la prise en main de leurs apprentissages.
  • Les bénéfices de la mise en œuvre d’un escape game pédagogique sont nombreux et contribuent à l’engagement de l’élève en faisant appel à des mécaniques intrinsèques  au jeu : fun, autonomie, apprentissage, réussite, émotions, identité de groupe.
  • L’élève développe des compétences sociales par le jeu. Dans un escape game, il n’y a pas de vainqueur(s). Tous les membres de l’équipe mettent leurs connaissances et compétences à profit, se mobilisent, s’investissent. Il n’y a pas de compétition entre joueurs. La cohésion du groupe prime. Même si certains peuvent en effet être dans cet esprit, la concurrence n’a pas lieu d’être. On collabore tous ensemble, on réfléchit pour progresser et avancer dans le jeu. Ceci n’exclut pas la notion d’effort : pour arriver à un résultat,  le joueur doit montrer de la persévérance et réfléchir à des stratégies adaptées à son objectif.
  • Les modalités de travail collaboratives font partie du cœur du métier de professeur-documentaliste. Avec et par l’escape game, ces savoir-être sont mobilisés. Ludifier une séance permet d’apporter une source de motivation et d’implication chez l’élève. Y ajouter la composante sociale constitue une plus-value pédagogique. Les joueurs se doivent de communiquer, la mécanique du jeu sollicitant les interactions. L’escape game pédagogique répond à ces problématiques et sa réussite tient au fragile équilibre entre ludique et objectifs pédagogiques. La nouvelle infographie créée par l’équipe S’CAPEreprend les éléments constitutifs de cet équilibre de façon synthétique et visuel.

1. Réussir son escape game par P. Nadam.

2. Ce peut être aussi des digicodes numériques ou des mots de passe à saisir sur un document crypté par exemple. Voir l’article Génial.ly et les escape games de M. Fenaert et Un digicode avec PowerPoint de P. Nadam.

3. Il ne faut pas se limiter à nos habitudes de penser ni à ce que l’on pense savoir.

4. Le polychromacryptographe de S’cape

5. Une check-liste est disponible dans le kit pour faciliter la remise à zéro du jeu. 

6. Indispensable débriefing par A. Petit

7. L’équilibre entre jeu et sérieux de P. Nadam.

Libérez la doc ! Ou comment ludifier la visite du 3C
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5 avis sur « Libérez la doc ! Ou comment ludifier la visite du 3C »

  • 11 décembre 2018 à 9 h 29 min
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    Merci pour ce partage d’une séance très riche et inventive.

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  • 11 décembre 2018 à 10 h 49 min
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    Travail collaboratif très riche, merci pour le partage !

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  • 18 décembre 2018 à 18 h 43 min
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    Un escape game très riche et une analyse intéressante. Merci pour le partage

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  • 16 mai 2019 à 15 h 38 min
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    Bravo pour ce travail titanesque ! Je vais essayer de me lancer à la rentrée pour la fameuse visite du CDI…même si je n’ai malheureusement pas pu bénéficier de la formation Escape Game cette année ! Pas facile de se lancer toute seule…

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    • 16 mai 2019 à 15 h 45 min
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      Bonjour Coline et merci pour ce commentaire.
      Je peux t’apporter mon aide quant à la réflexion et l’élaboration de ton escape game pédagogique.

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